Fraude à la rénovation énergétique : des peines de prison à nouveau prononcées

Il y a quelques semaines, le tribunal correctionnel de Limoges prononçait des peines de prison ferme, dans une affaire d’escroquerie aux travaux de rénovation : une quinzaine de personnes étaient poursuivies, pour un préjudice assez gargantuesque.

Dans le secteur très prolifique des arnaques à la rénovation énergétique, les plaintes augmentent significativement, et les condamnations sont de plus en plus lourdes. Les escroqueries prennent de l’ampleur, autant géographiquement que pécuniairement, avec peu ou prou toujours les mêmes recettes. Les escrocs ne sont peut-être plus aussi créatifs qu’au début de la distribution des aides de l’État, mais ils restent très gourmands. L’AFP et France 3 Nouvelle Aquitaine rapportent l’affaire BDPA Rénovation dont les dirigeants et les salariés, à trop vouloir en croquer, ont fini par se faire attraper.

Des personnes vulnérables roulées dans la farine

BDPA Rénovation, entreprise spécialisée en rénovation énergétique, faisait bombance grâce à un réseau d’agences situées dans plusieurs départements : entre octobre 2018 et janvier 2023, dirigeants et commerciaux ont vendus leurs salades en Haute-Vienne, Dordogne, Allier, Lot, Gironde, Loir-et-Cher et Eure-et-Loir. Et les dindons de la farce étaient, encore une fois, des personnes âgées.

Au départ, du démarchage téléphonique : les appels proviennent d’un centre d’appels basé au Maroc, où les opérateurs sont rétribués entre 40 et 45 euros par rendez-vous obtenu. Un opérateur/commercial/technicien, soi-disant mandaté par un organisme de contrôle de l’habitat, se présente ensuite pour délivrer une attestation de conformité. Celle-ci est prétendument obligatoire pour des travaux déjà, ou à faire, réaliser dans la maison. Cette brigade n’y allait pas avec le dos de la cuillère pour forcer les personnes vulnérables, âgées de 80 ans en moyenne, à signer des contrats à des tarifs exorbitants pour des travaux non justifiés.

Certains mettaient les bouchées doubles, multipliant les visites et les bons de commande (jusqu’à douze pour l’une des victimes), ou proposant des interventions pour le moins imaginatives, comme un traitement contre les termites sur une charpente métallique. Une femme sous curatelle s’est par exemple retrouvée avec des factures s’élevant à 70 779 euros, selon warning-trading.com.

Le beurre, l’argent du beurre… et la crémière perd son sourire

Ce site raconte également la mésaventure d’un couple âgé ayant à charge un enfant en situation de handicap. « Ils ont été sollicités à quatre reprises en un seul mois, entraînant des dépenses s’élevant à 55 498 euros, représentant la totalité de leurs économies. » Ils ont été ensuite incités à contracter un prêt à la consommation, pour un montant de 33 049 euros. En contrepartie, on leur a fait miroiter l’embauche de leur fils…

Les travaux ont quelques fois été réalisés. Parfois bien, d’autres fois non, et souvent pas du tout. Mais peu importe. Ces personnes ont été délestées des économies de toute une vie, les privant de toute ressource au quotidien, de toute épargne en cas de coup dur, de toute possibilité de legs à leurs proches. Certains ont dû emprunter pour financer ces travaux et rembourseront jusqu’à la fin de leur vie. Le site d’avis GoWork.fr publie quelques témoignages assez édifiants.

Les chiffres annoncés sont vite écœurants : 227 victimes ont porté plainte, mais on est bien loin du compte. Il est question de milliers de personnes lésées. Fragiles ou isolées, toutes n’ont sans doute pas pu ou pas su se faire connaître. Le préjudice total est évalué à 1,7 million d’euros ; l’une des victimes aurait été escroquée à hauteur de 135 000 euros…

Et la justice de mettre les pieds dans le plat

Pas moins de 16 prévenus comparaissaient en novembre 2023 au tribunal judiciaire de Limoges, pour ce qu’ils ont décrit comme « un jeu stupide ». Un jeu donc, juste un jeu. « Un jeu de la pire des bassesses, qui tire profit de la détresse humaine », répond la présidente du tribunal.

Tous les salariés de BDPA Rénovation – les deux dirigeants, les directeurs d’agences, les animateurs et les commerciaux – étaient accusés d’« escroquerie en bande organisée, abus de faiblesse et pratiques commerciales trompeuses et agressives » envers des personnes âgées de 80 ans en moyenne. Ils risquaient tous, chacun à leur échelle, des peines de prison, des fortes amendes et des interdictions d’exercer.

Dans son jugement du 19 janvier 2024, en corrélation avec les réquisitions du procureur de la République, le tribunal a condamné le responsable de l’entreprise à 5 ans de prison (dont un avec sursis probatoire pendant 3 ans), 50 000 euros d’amende « avec obligations de réparer les dommages causés aux parties civiles, avec soins, travail, obligation de payer les sommes dues au trésor, interdiction d’exercer une profession commerciale, interdiction définitive de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société », comme le détaille le site de l’UFC-Que Choisir. Le tribunal a ordonné un mandat de dépôt à délai différé pour la partie ferme de sa peine, l’homme n’ayant pas assisté au rendu du délibéré.

Menu identique pour les autres condamnés

Sa compagne n’a pas non plus daigné se rendre au rendu du délibéré, alors que c’est pourtant elle la gérante officielle. Elle a écopé de 3 ans de prison (dont 18 mois de sursis probatoire), avec « obligations de réparer les dommages causés aux parties civiles, travail, obligation de payer les sommes dues au trésor, interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de 10 ans ». Le tribunal a ordonné l’exécution provisoire du sursis probatoire.

Les quatre autres principaux responsables ont pris 3 ans de prison, avec aménagement de la partie ferme de leur peine en détention à domicile sous surveillance électronique.

Même modalités pour les commerciaux et les animateurs, qui écopent de 2 ans de prison (dont 18 mois de sursis probatoire), et interdiction d’exercer une activité de démarchage à domicile. La peine a été réduite à 18 mois pour ceux qui ne sont restés qu’un an dans l’entreprise.

Des amendes ont également été infligées à tous et l’entreprise a été dissoute.

Les victimes ont obtenu, selon le préjudice subit, de quelques centaines d’euros à plus de 170 000 euros de dommages et intérêts. « C’est une grande victoire pour les parties civiles, car l’ensemble des prévenus ont été reconnus responsables avec des peines relativement lourdes et surtout une interdiction de gérer définitive : ils ne pourront plus commettre à nouveau ces faits à l’avenir », assure Me Jean-Valiere Vialeix, avocat d’une des parties civiles.

Difficile d’être aussi optimiste. Après tout, le responsable de BDPA Rénovation semble avoir déjà été condamné pour escroquerie et semblait être déjà interdit de gestion de société ; cela expliquerait que sa compagne soit la gérante officielle, en tant que prête-nom.

Une ardoise impossible à payer

Le couple et ses ex-employés seront-ils en mesure de payer tout ce qu’ils doivent ? Pour Me Charlyves Salagnon, rien n’est moins sûr. Il s’en explique sur le site de son cabinet. « Même si la société et ses dirigeants sont condamnés, la société est en liquidation judiciaire et ses dirigeants, dont le train de vie fastueux (voyages à Las Vegas, achat de véhicule de luxe, addiction aux jeux, etc.) a été évoqué durant le procès pénal, ont largement dépensé l’argent qu’ils ont perçu de la société, au point d’être dans une situation de quasi-insolvabilité. ».

Il préconise de passer du pénal au civil, mais pas pour tout le monde. « Une action reste possible pour les victimes ayant eu recours à des emprunts : engager la responsabilité des établissements bancaires ayant participé aux opérations vendues par démarchage par la société BDPA Rénovation. En effet, une telle action, distincte de l’action pénale, et qui repose sur des fondements juridiques propres, peut permettre aux victimes ayant souscrit des prêts de contester tout ou partie des sommes réclamées par les établissements de crédits. »

Et l’addition continue de s’allonger pour les victimes.

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