Un gérant d’une entreprise, se disant spécialisé dans la rénovation énergétique, est dans le collimateur des autorités : il est soupçonné d’avoir monté des faux dossiers de travaux en série, environ 9 000, travaux qui n’ont jamais été réalisés.
Cette affaire, racontée par Le Parisien, est somme toute emblématique des aides mises en place à la va vite par le Gouvernement. Des artisans hélas non formés ou sans expérience, ou encore des apprentis escrocs, se sont engouffrés la brèche de la prime à la rénovation énergétique, à grands coups de démarchages au téléphone ou à domicile.
Une bonne intention, au départ…
Si c’est plutôt une bonne chose que l’État veuille plus d’artisans agréés en matière de rénovation énergétique, quid de la qualité et de la pérennité des travaux à bas prix ? Les nouvelles procédures simplifient l’accès au label RGE (Reconnu garant pour l’environnement), tout en renforçant les contrôles afin d’identifier les brebis galeuses. Le Gouvernement, via le ministère de la Transition énergétique, fait ainsi profession de foi : « Nous allons créer une base de données commune des chantiers et des contrôles réalisés, pour assurer une meilleure coordination des contrôles effectués. Le taux de contrôle RGE sera proportionnel au nombre de chantiers financés ».
Des questions se posent immédiatement. Pourquoi faciliter l’accès au label RGE alors qu’il faudrait en durcir les conditions d’obtention pour garantir la qualité des travaux ? Comment est-il encore possible, compte tenu du nombre d’arnaques grandissant de manière exponentielle dans le BTP, de pouvoir monter une société spécialisée, sans avoir ni diplôme ni expérience, tant en gestion d’entreprise que dans le domaine choisi ?
La mise en œuvre de cette base de données est pourtant demandée par les consommateurs, les associations, les professionnels sérieux et les avocats spécialisés depuis de nombreuses années, et ce pour l’entièreté du secteur.
Mais revenons à nos moutons et regardons comment tout ceci s’organise dans la réalité. Et c’est en lisant Le Parisien que l’on découvre une bien belle escroquerie se rattachant à ce dispositif…
Un champion des travaux fictifs
Unergia est une société créée en 2012, ayant pour activité principale déclarée les services relatifs aux économies d’énergies : elle conseille les entreprises du bâtiment pour obtenir les subventions auprès du ministère de la Transition écologique, elle a un capital social de 40 000 euros et une boîte à lettres sur les Champs-Élysées.
Entre 2016 et 2017, l’entreprise a encaissé 13,5 millions d’euros pour 8 950 prestations en isolation et changements de chaudières. Cela représente en moyenne 1 500 euros par chantier, pour des travaux effectués par 170 artisans dans toute la France. Sauf que ces travaux n’existent que sur le papier.
En juillet 2017, Tracfin, le gendarme des transactions bancaires, trouve suspect qu’Unergia n’ait qu’un seul salarié, le gérant Cédric Mokrani (selon les données de Pappers.fr et Societe.com), qui n’a jamais travaillé dans la rénovation énergétique. Mais après tout pourquoi pas, si celui-ci sous traite les travaux, externalise sa comptabilité et est lui-même le seul commercial de son entreprise. Les enquêteurs des douanes judiciaires contactent 138 artisans avec lesquels l’entrepreneur dit avoir travailler. Tous sont unanimes : ils n’ont jamais signé de contrat avec ce donneur d’ordre et n’ont, de fait, pas réalisé les chantiers mentionnés. Ils affirment que leur identité a été usurpée.
Un homme de paille ou le cerveau de l’affaire ?
C’est avec de faux documents que Cédric Mokrani a trompé la plateforme du Pôle national des certificats d’énergie (PNCEE). Il a ainsi obtenu lesdits certificats permettant de financer des travaux de rénovation, puis les a revendus à quatre autres sociétés délégataires. Les enquêteurs ont découvert que la société, basée en fait à Noisy-le-Grand (93), aurait blanchi sept millions d’euros grâce à plusieurs virements, notamment sur le compte d’une société polonaise de vente de meubles, de lampes et de tapis, gérée par un Malien de 65 ans qui habite à Paris dans le 18e.
« Aucune livraison intracommunautaire n’a été enregistrée entre ces deux sociétés, étayant ainsi le caractère totalement fictif de cette relation commerciale », selon les propos d’un parquetier rapporté par Capital, lors d’une audience. « Une partie des fonds a été, dans un second temps, évacuée vers des entités manifestement en lien avec le textile à Hongkong et en Chine, trajectoires caractéristiques des circuits connus de blanchiment », a-t-il ajouté.
Une chasse à l’homme digne de Lupin
Capital raconte que plus de 5 millions d’euros sont rapidement saisis sur le compte d’Unergia et 284 000 euros sur le compte personnel de son gérant. L’enquête bloque lorsque l’homme s’envole pour l’Espagne – selon son profil LinkedIn, il vivrait à Valence – puis le Panama à partir de 2020.
En février dernier, le malfrat a été interpellé à l’aéroport d’Orly à sa descente d’avion en provenance d’Espagne. Accusé d’escroquerie en bande organisée et blanchiment, il a été mis en examen, deux jours après sont arrestation.
Lors des auditions, Le Parisien et Capital rapportent que le suspect, père de quatre enfants, se présente comme un allocataire du RSA (Revenu de solidarité active) faisant face à des difficultés financières. Il aurait quitté la France après avoir reçu des menaces et des coups de la part de donneurs d’ordre, après la saisie sur des comptes bancaires par la justice. « Il affirme que les dossiers de certification lui étaient transmis par une société tierce, et qu’il ne faisait que vérifier 10% d’entre eux avant qu’ils ne bénéficient de la certification », indique Le Parisien, citant une source proche de l’enquête. L’homme assure que cette fraude ne lui aurait rapporté que 4 000 euros par mois, et ce durant un an. Un petit pécule de 48 000 euros tout de même !
Ce que l’on peut retenir de cette histoire afin de se protéger des escrocs :
Une adresse sur les Champs Élysées, ou dans tout autre quartier extrêmement chic de la capitale, n’est pas une preuve de fiabilité. Lors de la réception d’un devis, vérifiez si l’adresse ne correspondrait pas à de la domiciliation d’entreprise.
S’il faut toujours se méfier d’une entreprise à très faible capital social, c’est également le cas pour un capital social conséquent mais avec un seul employé.
L’usurpation d’identité est de plus en plus utilisée, aussi bien pour le nom de l’entreprise, de l’entrepreneur ou un numéro de Siret. Une fois encore, il faut jouer au détective afin d’être sûr que l’on a le bon interlocuteur en face de soi. Le diable se cache dans les détails !