L’arnaque aux travaux, un sport français n’épargnant pas l’Outre-mer

Bâtiment en travaux

« Si t’as envie de mourir, tu viens chez moi ». C’est en ces mots que Frédérique, propriétaire d’une case à Piton Saint-Leu accueille ses visiteurs. Elle est passée du paradis à l’enfer lorsqu’elle a fait confiance à un artisan pour transformer la maison de ses rêves. Le rêve d’une vie.

La Réunion, une destination de rêve pour beaucoup. Son soleil, ses paysages, sa gastronomie, la sympathie de ses habitants, et ses risques atypiques de passer de vie à trépas. Point de morsure de requin lors d’un bain de minuit ni de chute pendant l’ascension du Piton de la Fournaise, mais de simples travaux faits par un artisan au summum de son art… naque !

Frédérique, 60 ans, en atteste avec sa maison.

La confiance à l’origine du désastre

Nos confrères de Clicanoo.re rapportent cette histoire qui n’est que trop banale. Achetée il y a 2 ans, grâce à un héritage, Frédérique souhaitait y habiter avec son mari et y aménager un studio à louer. Afin de mener à bien ce projet, elle fait appel à un artisan qui était déjà intervenu pour installer un caillebotis dans sa boutique, à Saint-Leu. Comme c’est également un camarade de sa belle-fille, sa confiance était totale. Frédérique vérifie tout de même le numéro de Siret, et que le devis soit conforme à son budget. Les travaux débutent en juillet 2023 et ce « bonhomme », comme elle l’appelle, lui demande régulièrement des avances. Rien de bizarre pour elle : elle est commerçante, si elle veut achalander sa boutique, il faut qu’elle paye avant.

Frédérique et son époux décident de partir en vacances au mois de septembre suivant. Elle propose à l’artisan de stopper les travaux pendant ce laps de temps. Pas la peine, il a du temps. Elle n’a qu’à lui verser le solde et, à son retour, tout sera terminé.

Le couple est rentré de vacances, octobre arrive et rien n’est terminé. Pas d’inquiétude ! Ça le sera à la fin du mois.

Des dégâts à gogo

Quelques temps plus tard, « plus de son, plus d’image », plus personne sur le chantier. Avant les travaux, la maison « était nickel. On a simplement voulu l’exploiter un peu plus, et l’artisan me l’a cassée un peu plus », raconte-t-elle.

Dans le reportage de nos confrères, Frédérique fait un rapide tour du propriétaire. L’agrandissement de la buanderie est une vaste plaisanterie. Des vis dépassent de-ci de-là. Des tôles sont juste posées sur le toit, et pourraient s’envoler et décapiter quelqu’un en cas de grand vent. Elle a fait appel à un nouvel artisan, qui a du sécuriser l’ensemble avec des serre-joints. La terrasse est complètement à refaire et son garde-corps est d’une dangerosité sans nom. L’escalier intérieur a été déplacé : à son ancienne place a été ajouté un plancher et des cales, mais rien n’est de la même taille. Frédérique a enlevé elle-même le parquet qui y avait été posé afin de constater la dangerosité de l’installation.

Le summum de l’amateurisme est atteint dans la salle-de-bain. Quand une pièce d’eau est faite en bois, la logique serait d’étanchéifier la structure avant toute chose. Las ! À certains endroits c’est du bois, à d’autres c’est du placo. Le carrelage ayant été posé à même le bois, il n’y a aucune étanchéité au niveau des joints. Il faudra tout casser et tout refaire.

« Il y avait tellement de choses à regarder, tellement de choses à voir que je n’ai pas tout vu », raconte Frédérique Le rapport du commissaire de justice compte 57 pages ; il estime le coût des reprises des travaux à 24 450 euros.

Frédérique a perdu les 20 000 euros versés « à l’escroc », à quoi s’ajoute « plus de 10 000 euros de matos ». Elle estime que sa maison, achetée 300 000 euros, elle vaudrait 3 fois moins aujourd’hui.

Une farandole de bonnes excuses

L’homme est champion olympique dans la catégorie réponse à tout, comme relaté dans l’article. S’il n’a pas terminé les travaux fin septembre, c’est parce que Frédérique le lui à interdit, le chalet d’à côté étant loué. Et si les travaux ont été arrêtés au retour des vacances des propriétaires, c’est parce qu’il lui a été demandé de ramener les clés et d’arrêter le chantier.

Concernant les malfaçons, il décline toute responsabilité car ce n’est pas lui qui a acheté les matériaux et a fait avec ce qu’on lui a donné. Il n’est finalement qu’un simple exécutant. L’homme affirme enfin que le chantier aurait pu être terminé dans les règles de l’art, en novembre, un certain nombre de ses ouvriers pouvant témoigner qu’il n’y a pas tant de choses à faire, contrairement à ce qu’avance le second artisan.

Il dit ne plus être en activité (le registre national des entreprises de l’INPI mentionne bien que l’entreprise a été radiée) et ne plus démarcher sur les réseaux sociaux. Et comme la meilleure défense, c’est l’attaque, il a porté plainte contre Frédérique pour diffamation.

Une victime isolée ?

Clicanoo avait rencontré Maxime, lui aussi victime de cet artisan. Il l’a depuis fait condamné au civil, fin 2021, à le rembourser, puis au pénal en avril 2023 à réparer le préjudice financier. Et à effectuer un stage de citoyenneté…
Maxime attend toujours l’exécution des peines. Bien qu’il ait gagné, il n’est pas garanti qu’il revoit ne serait-ce que quelques centimes un jour. Une décision de justice est valable 10 ans, il devra s’armer de patience.

Les réseaux sociaux fleurissent de groupes listant les prestataires à éviter sur l’île. C’est parce qu’il avait raconté sa mésaventure sur l’un d’entre eux que Maxime a été contacté par Frédérique. En témoignant et en portant plainte, il a essayé d’empêcher le « bonhomme » de sévir à nouveau. Peine perdue : la justice française étant particulièrement longue, le pseudo artisan avait encore un numéro de Siret et un Kbis valide quand Frédérique l’a contacté. « Il pouvait encore agir en toute impunité », conclue-t-il.

À la Réunion, les commissaires de justice établissent en moyenne une centaine de constats de désordre sur les bâtiments tous les mois ; tous les cas rencontrés ne relèvent pas systématiquement d’une escroquerie ou d’une totale incompétence, Il s’agit le plus souvent de problèmes économiques récurrents dans le secteur de la construction.

Le conseil de Frédérique : « il est interdit d'être naïf »

  • Vérifier le numéro de Siret, la conformité du devis, voire de l’assurance n’est plus suffisant. Faire un historique de la vie professionnelle des artisans devient la règle.
  • Les avis en lignes et la presse locale permettent de connaître la réputation du contractant, et s’il traine un certain nombre de casseroles.
  • Si certains corps de métier imposent un diplôme et des garanties pour officier (salon de coiffure, agence de voyage, pharmacie, crèche par exemple), ce n’est pas le cas pour les artisans du BTP. Un simple comptable peut monter un auto-entreprenariat afin de devenir plombier sans aucune formation, ni assurance correcte.

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